Bientôt
Extrait
J’ai pris la mer par un jour de juin sur un bateau qui n’avait jamais vu le large en n’emportant que l’essentiel : quelques kilos de vivres secs, ta petite boîte rose, un jeu de bataille navale et l’écho sans fin des jours passés avec toi.
Dans ta petite boîte rose, j’ai rangé ta collection de pierres de lune.
Bien qu’il ne paie pas de mine, mon nouveau voilier est le meilleur ami que j’aie jamais eu. Avec lui, je sil- lonne les eaux du globe en quête d’indices, de signes, de parcelles de toi.
Je m’accroche à ton nom comme un désespéré, un dépossédé. J’inspecte les sons qui sortent de ma bouche, dans le silence des nuits sans étoiles, je tourne ce nom dans tous les sens : je le prononce tout doucement comme on récite une prière, un poème, ou alors je le crache comme une menace.
Peu importe le ton ou les inflexions que j’emploie, ton nom demeure toujours le même, il se termine inva- riablement sur la même note qui traîne dans la noirceur comme la rumeur d’un spectre.
Béatrice. C’est le nom que ta mère et moi avions choisi pour toi.
Quel courant fugitif a ravi Béatrice à ses parents ? Il n’aura fallu qu’un clignement d’yeux, aussi bien dire une éternité, pour que leur petite anémone disparaisse, laissant le couple enterrer un cercueil vide d’une indécente légèreté. Mais papa s’accroche à un espoir comme à une bouée : si chaque cours d’eau répond à l’appel de la mer, alors il remontera le courant qui le mènera jusqu’à sa fille.
Il s’improvise dès lors capitaine d’un improbable bateau de sauvetage. Au fil des jours, il sondera sans relâche les eaux du globe, notera selon les caprices de sa mémoire les souvenirs des jours heureux, insouciant devant la tempête qui gronde sur l’horizon.
Émouvante dérive sur le thème de l’absence mâtinée de poésie douce et saline, Marée montante est une déclaration d’amour à ceux qui nous quittent trop tôt, une comptine pour endormir le chagrin.